Mélenchon m'a insulté (et je le vis bien)

Ce midi, j’ai déjeuné avec Jean-Luc Mélenchon. Cela m’arrive assez régulièrement d’ailleurs quand je travaille de la maison. J’ai fait réchauffer mon plat de la veille au micro-ondes. Lui n’avait rien prévu, à part un discours. Il était là pour ça évidemment, après tout, on n’attend pas Jean-Luc pour tenir la louche. J’allume la télé, je lance Youtube, je défile dans mes abonnements, et le voilà prêt à me hurler dessus, tandis que je souffle tranquillement sur ma cuillère.

Retraites : nous pouvons les battre une nouvelle fois !

Et pourquoi pas, allons-y. Trente minutes, c’est à peu près le temps de ma pause. C’est plus de temps qu’il n’en faut pour avaler mon bol de soupe et un Pépito. Au début, il part un peu dans tous les sens, pas toujours simple de voir où il veut en venir, mais le show se laisse écouter. Le champ lexical marxiste est attendu (j’ai arrêté de compter au dixième bataille ou encore lutte en me disant que cela pourrait faire un jeu d’alcool à la fois vite onéreux et dangereux).

Il évoque son retour de Guyane où il s’est battu contre le projet de la Montagne d’or, on le remercie pour son implication. Et bien entendu, un discours de Mélenchon ne serait pas un discours de Mélenchon si l’on n’y évoquait pas le gaspillage de masse engendré par le système productiviste capitaliste. Il me semble qu’il mentionne notamment le gaspillage agro-industriel, en tout cas cela fait partie des images qui me viennent à l’esprit. On l’en remercie également.

J’écris cela sans ironie, je ne doute pas que nous ayons besoin de voix comme la sienne qui, discours après discours, semaines après semaines, alertent sur des aberrations produites par les choix de société passés que nous avons faits. Ce dont je doute fortement, c’est du remède. Car notre sympathique Jean-Luc Mélenchon est un idéologue qui flirte plutôt souvent avec le populisme. Pour autant que je puisse en juger, il coche au moins une des deux cases du précis du parfait populiste. Pour cocher la première, il est nécessaire de répondre à l’ensemble des critères suivants : adopter une posture de désaccord constant avec les élites politiques en place, prêter à ces élites des intentions malveillantes, cachées et délétères pour l’ensemble de la population, puis inventer au besoin une vérité alternative que l’on met au service d’un discours conçu pour justifier sa posture en tout temps. Et si l’on peut s’en servir pour rendre plus saillants encore les échecs de ses opposants, on ne va pas s’en plaindre.

Quant à la seconde case, peut-être seul l’avenir nous dira s’il la coche et s’il peut par conséquent être pleinement qualifié de populiste. En effet, à l’instar de Donald Trump aux États-Unis ou encore de Jair Bolsonaro au Brésil, il lui faudrait se présenter à nouveau et être élu en 2027 afin de pouvoir contester le résultat des votes lors d’une éventuelle défaite en 2032, et en appeler à prendre d’assaut l’Assemblée Nationale. Car le vrai populiste, le bon, ne quitte pas le pouvoir sans faire quelques vagues quand on le lui a octroyé. Reconnaissons tout de même que dans cette politique-fiction, la comparaison avec le continent américain s’arrête à la méthode. Je note que quitte à faire du populisme une carrière, il est cependant moins puant de s’en prendre aux riches plutôt qu’aux minorités ethniques.

Venons-en au moment fatidique, où je me suis fait insulter sans préavis. Heure locale au moment des faits : 1 heure et 8 minutes de l’après-midi. Timecode de la vidéo : 12 minutes et 15 secondes. Le bol est vide, je viens d’avaler ma dernière cuillère de soupe et je me dirige vers le placard où je garde précieusement la boîte de Pépitos. Jean-Luc Mélenchon est occupé à me parler du spectre planant des régimes d’assurance santé privés, et c’est là que cela s’est produit.

On vous dit : “ben, ça responsabilise !”. Cette connerie de la responsabilisation […] qu’on a déjà entendue cinquante fois, notamment à l’Assurance Maladie, qu’il fallait responsabiliser les gens. Et vous avez toujours une bande de gogols pour croire que c’est une bonne idée ! Alors après, ça finit par : “Comment ?! Vous fumez ? Et puis quand vous avez le cancer, vous me demandez, à moi, de payer vos soins ?!”.

Là, le diagnostic est tombé, et il est brutal. Papa, maman, je suis un gogol. J’en ai lâché mon Pépito.

Mélenchon en meeting

Commençons par préciser une chose. Et je vais tâcher de ne pas faire de phrases trop longues. Parce que je pourrais m’y perdre. Parce que je suis un gogol. Quand Apple a présenté son Apple Watch en Septembre 2014, le monde entier pendant des mois qui ont suivi l’annonce, et ce en dépit des campagnes marketing qui ont inondé internet et les métros, a persisté à appeler le produit l’iWatch. J’ai trouvé cela agaçant. Mais ce n’est pas mon sujet. Par la suite, Apple a annoncé de plus en plus d’intégration santé et des partenariats avec des compagnies d’assurance privées. Je me rappelle m’être demandé à quoi ressemblerait un avenir dans lequel on me refuserait un soin, sous prétexte que je n’aurais pas atteint mon objectif en calories au cours de mes derniers jours. Voilà une idée qui me réveille encore la nuit, voilà l’unique raison pour laquelle, au moment j’écris ces lignes, je poursuis encore une série record de 1267 jours d’affilés au cours desquels j’ai complété mon objectif. Je suis profondément angoissé par le spectre de la responsabilisation. Je préfère le dire pour ce qui suit : il me semble que confier l’entière couverture de nos soins de santé à des sociétés d’assurance privées dont l’objectif principale est d’être économiquement rentable est un pari pour le moins audacieux.

Cette rapide précaution étant prise, voici mon propos. Si la perspective d’être entouré par des citoyens plus responsables a quelque chose d’enthousiasmant qui échappe à mon compagnon de souper, j’en suis profondément navré pour lui. Mais à ce moment, j’ai identifié un point de désaccord fondamental avec Jean-Luc Mélenchon, qui je le crains, m’empêchera de glisser son nom dans l’urne tant que je n’aurai pas changé d’avis. Tant que je n’aurai pas arrêté d’être un gogol. Ce qui, espérons-le pour moi, pourrait éventuellement arriver.

La gratuité a un coût. Ce coût, c’est la responsabilité.

Quand, à l’hôtel, je prends des douches plus longues parce que je ne paye pas l’eau, j’ai un comportement irresponsable.
Quand j’ouvre la fenêtre en hiver sans éteindre le chauffage, j’ai un comportement irresponsable.
Quand je range mon iPhone en le jetant sur la table basse sans même y prêter attention car je sais que l’AppleCare me permet de le remplacer par un neuf sans franchise en cas d’accident, j’ai un comportement irresponsable.
Quand je néglige un cours au lycée, j’ai un comportement irresponsable.
Quand je me rend aux urgences pour un mal de ventre, j’ai un comportement irresponsable.

Tous ces comportements ont un coût, mais ce coût m’est invisible. Je ne le vois pas. Parce que je suis un gogol. Il est fortement souhaitable que la solidarité publique permette de prendre en charge les soins d’un individu souffrant d’un cancer du poumon, et ce sans condition. Il est effrayant d’imaginer une compagnie privée qui refuserait de prendre en charge le cancer d’une personne qui aurait fumé un joint une semaine avant son diagnostic, et ce même si cela avait été sa première et unique expérience avec la substance. Mais la réalité, ce sont également des petits budgets parfois constitués en partie d’impôts redistribués, et dont une partie non négligeable se retrouve dans la poche de Camel ou de Philip Morris.

Ce qui m’est le plus insupportable n’est pas que cela existe, mais que des personnes qui parlent soi-disant au nom du bien commun, refusent idéologiquement d’évoquer de tels sujets sous l’angle de la responsabilité personnelle. Il est tellement plus rentable électoralement parlant, de mettre l’entièreté du problème au crédit des géants industriels qui insèrent de force des cigarettes dans la bouche des enfants, et des Big Macs dans celle des autres, et là-dessus d’affirmer sans trembler des genoux que tous les problèmes de santé publique seront réglés si j’accepte de payer toujours plus d’impôts. Ou encore si l’on parvient à contraindre les super-profits à plus de solidarité contrainte. Pas d’inquiétude, on finira bien par taxer les super-profits, et tout ira mieux après, du moins jusqu’en 2027 où l’on débattra d’une éventuelle taxe sur les hyper-profits. Et si finalement un peu moins de maternage ne permettait pas d’amorcer une solution plus durable ? Voilà qui est moins populaire, mais peut-être aussi au moins un peu utile.

Après tout, je prends des douches moins longues et je coupe le chauffage avant d’aérer en hiver quand je suis responsable de payer la facture d’électricité.
Je soigne mieux mon iPhone quand je suis responsable de payer les réparations.
Je suis assidu et je pose des questions au professeur à la fin d’un cours que j’ai la responsabilité de financer.
Je vais peut-être renoncer à avaler en une fois un bol de bonbons si je suis responsable de payer des frais médicaux plus importants pour des soins mineurs aux urgences.

Alors bien entendu, la messe n’est pas dite quand on a plaidé contre la faiblesse morale. J’ai parlé de tabac, de gras et de sucre et naturellement je pense aux États-Unis, où il faut être allé une fois au moins pour prendre toute la mesure du mot obésité. Il y a fort à parier que des industriels y placeraient effectivement des cigarettes dans la bouche des enfants, et des Big Macs dans la bouche des autres si la loi le leur permettait. Mais que cela nous dit-il d’une société qui n’est capable de déployer comme contre-mesures qu’une multiplication de filets de secours gratuits et sans véritables contreparties éducatives, le tout à la charge d’un État-maman de plus en plus tentaculaire ?

Il est facile d’observer de loin et avec mépris les exemples les plus saillants d’américains qui bousillent leur corps à grands coups de menus Maxi Best Of™ et de canettes remplies de sucre, ou encore d’autres personnes qui laissent leur situation de santé empirer parce qu’elles n’ont pas les moyens de se soigner correctement. Mais amusons-nous à nous demander à quoi ressemblerait l’Amérique aujourd’hui si Harry Truman avait suivi de Gaulle et créé la Sécurité Sociale américaine. Peut-être que le résultat serait plus dystopique encore qu’il ne l’est aujourd’hui. Prenez un américain qui fait tous les mauvais choix possibles en matière de santé et d’alimentation, est-il vraiment raisonnable de penser que lui offrir des soins gratuits l’encouragerait à prendre de meilleures décisions ? L’épidémie d’obésité grimpante en France suggère l’inverse. Continuons pendant quelques années encore à donner du crédit à des politiciens qui traitent les citoyens comme des adolescents à qui l’on donne de l’argent de poche, et peut-être aurons-nous le loisir de voir ce qu’aurait donné cette version des États-Unis : un pays largement peuplé d’obèses qui se déplacent en scooters financés par un État surendetté. Peut-être qu’une taxe sur les ultra-profits permettra de renflouer les caisses alors.

Si la notion de responsabilisation choque Mélenchon, j’en suis désolé pour lui. Mais cela ne m’étonne pas de quelqu’un dont le fond de commerce consiste à garder les gens dans la dépendance idéologique le plus longtemps possible. Il serait contre-productif pour lui qu’une partie de son électorat se mette à envisager qu’il est possible de sortir ses enfants de la pauvreté autrement que par l’extorsion de l’argent des autres. Pourquoi parier sur l’éducation, l’apprentissage de la gestion d’un budget, ou encore du fonctionnement de l’épargne quand on peut continuer à se conforter dans le rôle de dommage collatéral du capital. Finalement, Mélenchon résume dans ces mots sa solution à tous les maux de la société : “Nous avons l’intention d’élargir la sphère de la solidarité, de la société d’entraide”.

Au-delà de la régulation des marchés qui génèrent les sous-produits les moins désirables, il est bien possible que nos meilleurs leviers pour lutter contre la pauvreté, l’endettement privé et public ou encore la santé soit plus d’éducation de la population, en l’invitant à travailler sur les biais qui la poussent à prendre de mauvaises décisions, et moins de distribution gratuite des moyens pour elle de prendre toujours plus de mauvaises décisions. Voilà une intuition. Quand mon ami Mélenchon expose les siennes, je le contredis. Alors, contredisez-moi. Mais soyez gentils d’utiliser des mots simples. Parce que je suis un gogol.

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